ateliers de création

Tout commence par la « Vénus callipyge » de Brassens…

« Que jamais l’art abstrait, qui sévit maintenant,
N’enlève à vos attraits ce volume étonnant.
Au temps où les faux culs sont la majorité,
Gloire à celui qui dit toute la vérité !

Votre dos perd son nom avec si bonne grâce,
Qu’on ne peut s’empêcher de lui donner raison.
Que ne suis-je, madame, un poète de race,
Pour dire à sa louange un immortel blason. (bis)

En le voyant passer, j’en eus la chair de poule,
Enfin, je vins au monde et, depuis, je lui vou’
Un culte véritable et, quand je perds aux boules,
En embrassant Fanny, je ne pense qu’à vous. (bis)

Pour obtenir, madame, un galbe de cet ordre,
Vous devez torturer les gens de votre entour,
Donner aux couturiers bien du fil à retordre,
Et vous devez crever votre dame d’atour. (bis)

C’est le duc de Bordeaux qui s’en va, tête basse,
Car il ressemble au mien comme deux gouttes d’eau,
S’il ressemblait au vôtre, on dirait, quand il passe :
 » C’est un joli garçon que le duc de Bordeaux !  » (bis)

Ne faites aucun cas des jaloux qui professent
Que vous avez placé votre orgueil un peu bas,
Que vous présumez trop, en somme de vos fesses,
Et surtout, par faveur, ne vous asseyez pas ! (bis)

Laissez-les raconter qu’en sortant de calèche
La brise a fait voler votre robe et qu’on vit,
Ecrite dans un coeur transpercé d’une flèche,
Cette expression triviale :  » A Julot pour la vi’  » (bis)

Laissez-les dire encor qu’à la cour d’Angleterre,
Faisant la révérence aux souverains anglois,
Vous êtes, patatras ! tombée assise à terre :
La loi d’la pesanteur est dur’, mais c’est la loi. (bis)

Nul ne peut aujourd’hui trépasser sans voir Naples,
A l’assaut des chefs-d’œuvre ils veulent tous courir !
Mes ambitions à moi sont bien plus raisonnables:
Voir votre académie, madame, et puis mourir. (bis)

Que jamais l’art abstrait, qui sévit maintenant,
N’enlève à vos attraits ce volume étonnant.
Au temps où les faux culs sont la majorité,
Gloire à celui qui dit toute la vérité !

On pense bien sûr à Vénus soulevant son péplos pour admirer ses fesses (« callipyge » en grec signifie « belles fesses »)…

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… mais aussi à des sculptures beaucoup plus anciennes comme les célèbres Vénus de Willendorf ou Vénus de Lespugue auxquelles on accorde une fonction rituelle dont la nature précise nous échappe et dont on ne sait si elles ont été réalisées par des femmes ou par des hommes.

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Vénus de Lespugue

On pense aussi à des fesses beaucoup plus « jeunes » dans l’histoire de l’humanité.

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Remarquons que ces belles fesses sont plutôt charnues, est-ce la raison pour laquelle le regard et l’intérêt s’y portent ? Ou bien ont-elles tendance à grossir, à enfler, sous le regard et par l’interêt qu’on leur porte ?

Thomas Bernardt peut nous aider à voir plus clair dans cette histoire de fesses.

« Si nous n’avions pas notre art de l’exagération, lui avais-je répondu, nous serions condamnés à une vie atrocement ennuyeuse, à une existence qui ne vaudrait même pas la peine qu’on existe.

Et j’ai poussé mon art de l’exagération jusqu’à d’incroyables sommets. J’ai cultivé à tel point mon art de l’exagération que je puis me dire sans hésiter le plus grand artiste de l’exagération que je connaisse. Je n’en connais pas d’autre, Gambetti. Si l’on me demandait un jour tout de go ce que je suis vraiment au fond de moi-même, je ne pourrais répondre que le plus grand artiste de l’exagération que je connaisse.
L’art d’exagérer est à mon sens l’art de surmonter l’existence. Plus je vieillis, Gambetti, plus je me réfugie dans mon art de l’exagération.

Seule l’exagération rend les choses vivantes, même le risque d’être déclaré fou ne nous gêne plus quand on a pris de l’âge. Le plus grand bonheur que je connaisse, Gambetti, c’est celui du vieux fou qui peut se livrer à sa folie en toute indépendance. Si nous en avions la possibilité, nous devrions nous proclamer vieux fou à quarante ans au plus tard et tenter de pousser à l’extrême notre folie.

Là-dessus, Gambetti avait de nouveau éclaté de son rire gambettien et m’avait contaminé de son rire gambettien, si bien que nous avons ri, cet après-midi-là sur le Pincio, comme nous n’avions jamais ri auparavant. »

Thomas Bernhard – Extinction

On peut se demander à la lecture de ce texte si l’art de l’exagération n’est pas à l’oeuvre dans toute forme de création. On pense aussi à Beckett, pourtant si sobre, si « classique », et à ses personnages réduits à leur plus simple expression, « simple expression » justement mis en lumière et comme outrée, soulignée, par le dépouillement même. On pense aussi à sa formule lapidaire « elles accouchent à cheval sur des tombes ».
Pour revenir aux propos de Thomas Bernhardt : l’exagération, c’est ce qui rend les choses vivantes.
Partant de là, je vous propose de fermer les yeux et de choisir une partie de votre corps. Prenez votre temps, accordez à ce que vous venez de lire, de voir, accordez à l’image mentale de votre propre corps une sorte d’attention flottante, n’ayez pas peur de vous égarer, vous sortirez de cette rêverie au moment où vous saurez à quelle partie de votre corps vous souhaitez vous adresser.
Maintenant écrivez une lettre qui s’adressera à cette partie de votre corps. Et n’oubliez pas le Gambetti de Thomas Bernardt : cultivez votre art de l’exagération.